Un enfant est qualifié de bilingue lorsqu’il est exposé à deux langues sur une base régulière, cette définition élargie incluant les enfants qui apprennent deux langues avant l’âge de 3 ans, souvent depuis la naissance (bilinguisme simultané) aussi bien que ceux qui sont exposés à une seule langue depuis la naissance et qui apprennent une langue seconde après la mise en place de la langue maternelle, après l’âge de 3 ans ½ ou 4 ans (bilinguisme séquentiel).
Il est maintenant reconnu que le bilinguisme est un atout substantiel, autant au plan culturel, social, éducatif et professionnel. Les enfants pouvant s’exprimer dans plus d’une langue voient leurs habiletés métalinguistiques s’accroître, en plus de témoigner d’un attachement plus marqué à la culture d’origine de leurs parents. Pourtant, plusieurs professionnels et parents sont convaincus que l’apprentissage d’une seconde langue chez les enfants présentant un trouble du langage est à reconsidérer, voire omettre pour les cas les plus sévères, d’autant plus si cette langue n’est pas celle utilisée dans le système d’éducation ou dans la communauté culturelle majoritaire.
Néanmoins, les résultats de diverses études en lien avec le bilinguisme chez des enfants d’âge préscolaire tendent à démontrer que non seulement il faut encourager l’apprentissage d’une seconde langue chez les jeunes enfants ayant un trouble du langage, mais aussi faciliter la communication de l’enfant dans sa langue d’origine, parlée à la maison avec les membres de sa famille. Ceci doit rester un objectif fondamental du plan d’intervention établi par l’orthophoniste. On observe qu’à défaut de développer la langue d’origine de l’enfant, des conséquences potentielles négatives se produisent à long terme sur son développement social, émotionnel et académique, tout comme sur la dynamique familiale. Abandonner la langue maternelle, qui constitue la base du développement du langage de l’enfant, revient à rejeter une partie de son histoire et bien souvent à des contacts moins nombreux avec les membres de la famille. Le clivage culturel entre les enfants et les parents et la perte de l’identité sont à éviter.
Même si l’orthophoniste ne connaît pas la langue parlée par la communauté culturelle du patient, des solutions s’offrent à lui pour mettre en pratique un plan d’intervention qui supporte le développement de la communication dans la langue d’origine de l’enfant, telles la formation des parents ou d’autres professionnels en contact avec l’enfant et de gens appartenant à la même communauté culturelle que l’enfant, ou encore l’utilisation de pairs ayant un développement normal et la même langue d’origine comme source d’intervention. Cette dernière stratégie d’intervention mérite particulièrement notre attention dans les cas où les échanges verbaux entre les adultes et les enfants sont inappropriés au sein de la culture pour des questions de statut social. Par ailleurs, la croyance populaire qui veut que la langue d’origine compromette de bonnes aptitudes langagières dans la langue majoritaire est erronnée. Cette vision négative du bilinguisme est fondée sur une métaphore spatiale du fonctionnement du cerveau. Au contraire, les enfants bilingues voient augmenter leurs accomplissements académiques dans la langue majoritaire, en comparaison à leurs pairs qui ne parlent qu’une seule langue. Des gains considérables dans la langue d’origine et dans la langue seconde sont possibles lorsque celles-ci sont systématiquement supportées dans le cadre éducatif.
On peut donc déduire qu’il est important de renforcer les habiletés langagières et métalinguistiques dans la langue d’origine de l’enfant dysphasique, qui risque fort de manifester des difficultés en lecture et en écriture, pour favoriser l’acquisition d’habiletés à ce niveau dans la langue majoritaire. Ainsi, il n’est pas nécessaire de recommander qu’on parle le français à la maison, surtout si les parents ne maîtrisent pas bien la langue, car offrir un modèle de français en cours d’acquisition n’apportera aucun bénéfice au traitement. Le rôle du parent est bien d’offrir un bon modèle langagier dans sa langue d’origine. Le devoir de mettre à disposition un modèle langagier adéquat en français revient aux intervenants francophones.
On peut néanmoins émettre l’hypothèse qu’un enfant dysphasique bilingue est désavantagé par rapport à un dysphasique unilingue, car le bilingue fait face à des demandes qui excèdent ses capacités langagières. Toutefois, l’étude de Paradis et al. (2003) illustre la capacité d’enfants dysphasiques à apprendre deux langues, au moins au même niveau que des enfants dysphasiques unilingues. Des enfants canadiens de 7 ans ayant un trouble du langage et exposés à deux langues (français et anglais) depuis la naissance ne s’en tiraient pas plus mal que leurs pairs dysphasiques unilingues. Les dysphasiques bilingues simultanés et unilingues manifestaient des difficultés de même degré de sévérité.
Bref, le bilinguisme apporte plusieurs avantages aux enfants, incluant les jeunes enfants qui présentent une forme quelconque de trouble du langage. Une meilleure estime de soi, de meilleures relations avec les membres de leur famille et de plus grandes aspirations académiques sont d’importants avantages socio-émotionnels que procure le bilinguisme et que bon nombre de gens ignorent. De plus, ces avantages ne compromettent pas l’apprentissage de la langue majoritaire, conclusion qui peut surprendre dans le cas des enfants d’âge préscolaire présentant un trouble du langage. Il est essentiel que l’orthophoniste encourage l’utilisation de la langue d’origine du jeune patient dans un plan d’intervention, même si ce dernier vise principalement une meilleure communication de l’enfant en français.
Pour en savoir davantage sur des stratégies à mettre en place au quotidien pour favoriser le bilinguisme chez votre enfant, voici un article fort intéressant paru sur le site web de Naître et grandir: L’apprentissage de plusieurs langues. Également, cet article tiré de Premiers Mots adresse plusieurs mythes sur le bilinguisme: Questions et réponses: langue maternelle et bilinguisme.