L’art n’occupe pas la même place et n’a pas la même fonction dans la vie de tous. Pour certains, le fait de pratiquer une activité artistique est une partie intégrante et essentielle à leur bien-être, qui leur permet de déconnecter et de maintenir un certain équilibre dans leur vie. Pour d’autres personnes, l’art est plutôt un élément secondaire, ou encore un centre d’intérêt auquel elles n’ont pas le temps de s’adonner. Peu importe la vision ou la perception que l’on a de l’art sous toutes ses formes (musique, théâtre, dessin, danse, etc.), il faut reconnaître qu’il s’agit d’une autre forme d’expression pouvant procurer des bienfaits à des personnes malades et/ou ayant un trouble de la communication, autant sur les plans physique, émotionnel, psychoaffectif, cognitif, comportemental et social.

Je suis tombée dernièrement sur un reportage sur le Théâtre Aphasique (débute à la 8e minute), diffusé à l’émission Les Docteurs, le mardi 10 avril 2012. Le Théâtre Aphasique est un organisme à but non lucratif centré sur la réadaptation et la réintégration sociale des personnes aphasiques par l’art dramatique. J’ai personnellement eu la chance de voir une de leurs pièces,  Le Facteur Temps.

L’aphasie est la perte totale ou partielle de la capacité d’un individu à communiquer, suite à une lésion cérébrale causée par un accident vasculaire cérébral (AVC), un traumatisme crânien ou une tumeur cérébrale. La personne aphasique peut donc avoir du mal à exprimer ses besoins et ses idées, à parler, à comprendre ce qu’on lui dit, à lire et à écrire. Elle se retrouve pour ainsi dire étrangère dans sa propre langue. Il existe plusieurs types d’aphasies, en fonction de la zone cérébrale touchée, le plus souvent à l’hémisphère gauche (ex: aphasie de Broca, de Wernicke, aphasie mixte ou globale, etc.). L’aphasie crée des barrières à la vie sociale et à la participation dans la communauté. En effet, puisque les personnes aphasiques sont privées de leurs moyens de communication habituels, elles se retrouvent souvent dans un état d’isolement complet. Au Québec, plus de 20 000 personnes sont aphasiques et environ 3 200 nouveaux cas s’ajoutent par année.

Pour certaines personnes aphasiques, pratiquer une activité artistique suite à leur AVC leur permet de s’accomplir comme personne, de se sentir acceptées, de diminuer la frustration de ne pas pouvoir exprimer ce qu’elles veulent dire, de compenser l’impossibilité de retourner au travail (fatigue, limitations sur les plans langagier et moteur, etc.), et va même jusqu’à leur permettre de retrouver la parole en récupérant des mots, ce qui est assurément gratifiant.

Je crois que l’orthophoniste, sans s’improviser art-thérapeute ou musicothérapeute,  doit être sensibilisé aux bienfaits que peut procurer la réalisation d’une activité artistique à des personnes ayant un trouble de la communication, qu’il a intérêt à être ouvert à l’utilisation de méthodes artistiques dans ses thérapies et doit être en mesure de référer ses patients à des groupes ou des ressources pertinentes dans le domaine artistique, qui s’intégreraient bien dans une prise en charge globale, pluridisciplinaire. De toute façon, pratiquer une forme d’art ne présente aucun effet secondaire indésirable, alors pourquoi ne pas essayer? Il est certain que nous devons quand même tenir compte de la personnalité du patient, de ses intérêts et de son ouverture ou sa réticence à pratiquer une activité artistique. Par exemple, si un patient, avant son AVC, s’accomplissait seulement à travers son travail et n’avait pas le temps de s’intéresser à l’art, on peut tout de même lui suggérer une activité artistique adaptée à sa personnalité et à ses capacités, afin de ne pas créer une barrière supplémentaire à sa réinsertion sociale. On peut également lui offrir de simplement observer un groupe s’adonnant à cette activité. En effet, le patient peut se surprendre lui-même à y prendre goût et à changer ses perspectives ou sa vision de l’art. L’exemple de Jacinthe Giroux, membre de la troupe du Théâtre Aphasique, illustre bien cette idée. Au départ, quand on lui a proposé d’embarquer dans la troupe en vue de monter un spectacle, elle était réticente. « Je trouvais ça plate, j’aimais pas ça. » disait-elle. Elle s’est forcée elle-même à participer aux ateliers d’art dramatique donnés à l’Hôpital de réadaptation Villa Médica et a été agréablement surprise. « J’aime l’esprit d’équipe. », « Ça m’aide dans mon parler. », « Je suis fière de faire partie de ce tournage parce que ACV a pas été parlé assez. » affirme-t-elle (vidéo La moitié gauche du cerveau, 2008).

Pour des personnes aphasiques, le fait de pouvoir se réaliser à travers une activité artistique peut être tout à fait complémentaire à la réhabilitation orthophonique et apporter des changements positifs, non seulement en réinvestissant ce qui a été travaillé en orthophonie, mais également en créant un contexte d’entraide et d’interactions sociales favorisant les opportunités de communication et permettant de briser l’isolement. S’intégrer à un groupe artistique peut également être bénéfique pour le patient aphasique afin d’assurer un certain suivi à long terme, lorsqu’on lui donne congé. Les résultats de l’étude de Croteau, Le Dorze et al. (2008) vont dans ce sens. La participation de personnes aphasiques dans une troupe de théâtre était reliée à une augmentation de leur participation sociale, une amélioration de la communication du groupe et des améliorations de la personnalité (auto-contrôle, respect des autres, tolérance face à leurs difficultés, etc.). De plus, les conjoints des personnes aphasiques étaient plus satisfaits par rapport à leur qualité de vie.

Je trouve dommage que la réhabilitation orthophonique à travers l’art soit si peu abordée dans les programmes de formation universitaire. Des travaux scientifiques montrent les bienfaits du dessin, de la musique ou encore du théâtre sur les personnes ayant un trouble de la communication et également sur leurs proches. Ces modalités artistiques peuvent être en soi un moyen de communication. On constate que l’utilisation de l’art en orthophonie semble beaucoup plus importante ou présente dans les pays européens ou sud-américains qu’en Amérique du Nord. Par exemple, à l’Université de Valladolid en Espagne où j’ai complété mon baccalauréat, le cours de musicothérapie est un cours obligatoire dès la 1re année du programme en orthophonie. Même qu’à cette université, pouvoir jouer d’un instrument de musique est jugé comme étant un atout pour les gens désirant s’inscrire en orthophonie. En me basant sur mes expériences au Québec, il semble qu’on ait le réflexe d’utiliser des rythmes, des comptines ou d’autres activités artistiques beaucoup plus auprès de la clientèle enfant (ex : pour travailler la conscience phonologique) que celle adulte. Pour ma part, lors d’un stage à Valladolid avec la clientèle aphasique, nous utilisions systématiquement à chaque thérapie une musique de fond douce lorsque nous pratiquions la méthode Castillo Morales (massage orofacial) sur un patient aphasique non verbal. Cela semblait le détendre et le rendre disposé, réceptif au massage. Aussi, nous avions recours à la musique pour stimuler la production verbale d’une femme ayant une aphasie globale.

Il est indéniable que la musique peut provoquer plusieurs réactions chez nous, les être humains. La musique est une forme d’expression universelle, elle peut refléter une culture, diminuer la fatigue psychologique, nous motiver, nous remémorer des souvenirs ou une époque, nous faire vivre des émotions, rassembler les gens, être un moyen de socialisation et favoriser l’interaction. Également, la musique a plusieurs propriétés thérapeutiques reconnues auprès des gens atteints de la Maladie d’Alzheimer. Elle peut aider à traiter les troubles de l’anxiété, de dépression, les symptômes psychoaffectifs, les symptômes somatiques généraux, diminuer l’agitation, les troubles du comportement et la médication, aider les patients à se rappeler de leurs expériences de vie passées, améliorer la cognition, augmenter la motivation, améliorer l’expression des sentiments, la communication avec autrui, la sociabilité et la qualité de vie.

Pour connaître d’autres ressources pertinentes en lien avec l’aphasie, consultez la section Ressources de notre site web!

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